Dans le meilleur des mondes littéraires possibles

Dave Monroe against.the.dave at gmail.com
Sun Feb 15 04:22:23 CST 2009


Notes de lecture
Le roman de la nouvelle Amérique le magazine littéraire février 2009
n° 483 98 pages

Dans le meilleur des mondes littéraires possibles


Au faîte de la guerre froide, Jean-Paul Sartre, tout en accusant le
pays de la bannière étoilée d'être malade de 'rage', cherchait à
amender le caractère expéditif de ce jugement en lisant les romans de
Faulkner et de Dos Passos. Preuve que le détour littéraire reste la
voie d'un accès non biaisé aux Etats-Unis, une nation dont la
littérature demeure, à l'ère de la vidéosphère, triomphante.

Au lendemain de l'investiture du 44e président des Etats-Unis, Barack
Obama, Le Magazine Littéraire a voulu en savoir plus sur la
contribution de la littérature à ce que Philip Roth appelait récemment
' l'élan américain '. Non en sollicitant les opinions des hommes de
lettres américains, mais en interrogeant leurs œuvres comme autant de
révélateurs du tournant d'une société. Un tournant à propos duquel on
avise, en revisitant l'œuvre de Thomas Pynchon que la dimension
politique n'en épuise certainement pas les significations. Car un
séisme culturel ébranle les fondations de l'Union. Cette perestroïka à
l'américaine, portée par l'intelligentsia, ouvre aux écrivains un
territoire imaginaire inédit et de nouvelles frontières.
Qu'est-ce qu'un Américain du XXIe siècle, selon les écrivains ? Un
loup-garou, un homme invisible, un yuppie déprimé, un trappeur
endurant, une jeune fille perdue ?... Peut-être avant tout un
'étranger chez soi', selon la formule de Toni Morrisson.

Préférant les portraits glaçants aux pamphlets, les écrivains
américains dissèquent depuis longtemps les contreparties humaines de
l'ultralibéralisme. C'était il y a dix ans, et tout semblait aller
pour le mieux dans le meilleur des mondes libéraux possibles. La
hausse des taux de croissance faisait oublier celle de l'endettement,
le chômage atteignait des seuils historiquement bas, Wall Street
affichait des indices historiquement hauts. La littérature populaire
rendait compte, sans recul, de cette prospérité à travers un genre
féminin dénommé chick lit ('littérature pour poulettes'). Sous couvert
d'une ironie sociologique jetable, celle-ci consacrait le consumérisme
frénétique comme mode de comportement et prouvait en mille variations
sur le thème de Cendrillon que le trader avait détrôné le capitaine
d'industrie dans le rôle du mâle archétypal attractif.

Heureusement, la littérature porte déjà sur l'apparent miracle, ultime
incarnation du rêve américain, un regard moins complaisant. Dans
American Psycho, Bret Easton Ellis livre le portrait d'un prédateur,
officiant au sommet de la chaîne financière.

La faculté de la littérature américaine à analyser in vivo les
évolutions sociales fait sa force. Et sa faiblesse, si l'on en croit
Horace Engdahl, secrétaire de l'Académie Nobel, qui la juge trop
autocentrée. Quel sera l'écho de la crise actuelle sur la littérature
américaine ? Et quid du formidable espoir suscité par l'élection de
Barack Obama ? 'C'est un pas en avant, mais peut-être un trop petit
pas, eu égard à la crise à laquelle nous sommes confrontés, estime
Howard Zinn. A moins que ses soutiens, entre autres littéraires, ne
l'obligent à quitter sa position centriste et à se montrer plus
audacieux en matière de politique intérieure ou étrangère.' Né en
1940, Russell Banks, l'auteur de Trailerpark rend grâce aux destins
sacrifiés d'un pays qu'il juge à la dérive sur tous les plans :
inégalités sociales et raciales, politique…

Les éditeurs attendent trop souvent d'un écrivain issu des minorités
qu'il évoque sa seule communauté. Les esprits toujours sont esclaves
des clichés raciaux. Percival Everett, l'auteur d'Effacement et de
Blessés, porte un témoignage.

Il déclare : 'Quand j'ai commencé ma carrière, les auteurs noirs ne
semblaient avoir le droit de décrire que deux mondes stéréotypés : la
banlieue ou le Sud rural. Aucun d'eux ne correspond à mon expérience.'

S'il existe toujours de brillants écrivains juifs américains, ils se
saisissent désormais peu de leur judaïté. Ils sont en effet déliés de
deux dimensions autrefois fondatrices : l'expérience de
l'antisémitisme et la pratique du yiddish.

Très peu des lectures de Daniel Mendelsohn appartiennent à la
tradition américaine. Il n'aime pas les catégories, les écoles ou les
groupes, quels qu'ils soient. Il est, bien sûr, à la fois américain et
juif, dans cette mesure, il suppose qu'on pourrait le qualifier d'
'écrivain juif américain'. Mais il n'est pas plus un 'écrivain juif
américain' qu'un 'écrivain gay américain'.

Les contours d'une société post-sexuelle

L'une des plus fines représentantes des gender studies interroge
l'éventualité d'une Amérique 'post-sexuelle'. Tandis que le nouveau
président américain fait triompher la promesse d'une Amérique
'post-raciale', des écrivains esquissent les contours d'une société
'post-sexuelle', où les déterminations traditionnelles du masculin et
du féminin perdraient de leur importance via de nouvelles catégories –
dites de 'genre'. Avital Ronell est l'une des grandes théoriciennes de
ce champ d'études. Deux traductions de ses textes sortiront en France
au printemps : Test Drive (éd. Stock) et Addict. Fixions et
narcotextes (éd. Bayard), qui passe Emma Bovary au crible de
l'addiction. La banlieue résidentielle est l'un des décors matriciels
du roman américain moderne. Bernad Quiriny fait le tour d'horizon du
suburb novel, de John Cheever à Rick Moody. Les suburbs sont un cadre
fréquent que l'universitaire Cathrine Jurca y voit une construction
littéraire désormais déliée de la réalité.

Dans la lignée de Thomas Pynchon, de nombreux écrivains inventent des
formes mutantes, pétries de technologies et de références issues de la
culture populaire, pour dire l'étrange Amérique qui vient.

Après le temps du silence traumatique puis de l'évocation frontale, le
11 septembre désaxe plus insidieusement les mémoires individuelle et
collective. Il serait difficile d'énumérer tous les écrivains
américains qui ont éclairé la question de la fragilité et de la
vulnérabilité des Etats-Unis, telles que les attentats du 11 septembre
les ont révélées. Or il convient de rappeler que là n'est pas la
destination principale du métier d'écrivain. La responsabilité propre
des écrivains n'est pas de s'atteler prioritairement aux questions
politiques et sociales. Leur vocation, c'est d'imaginer ce que
feraient leurs personnages dans certaines situations – en les suivant
pour ainsi dire là où ils nous conduisent.

'L'élection d'Obama est une percée inouïe', selon Paul Auster. Il est
très difficile de sortir les événements du 11 septembre du contexte où
ils se sont produits. Bush et son administration ont délibérément
choisi la politique de la peur. A cette erreur est venu s'ajouter
l'emploi de paroles mensongères. Parler d'une 'guerre contre le
terrorisme' était une absurdité. La guerre désigne un combat entre
deux Etats. Or ce n'est pas un Etat qui a attaqué l'Amérique, ce sont
des individus. Pour Paul Auster, cette 'guerre contre le terrorisme'
cachait en réalité une question purement répressive. Les Etats-Unis
abritent une myriade de publications, souvent impitoyables. Jim Holit
dresse un panorama des forces en présence et se livre à une petite
géopolitique de la critique littéraire.

Le travail de neufs personnalités récemment (re)découvertes
influencera les lettres américaines de demain. Parmi ces jeunes nababs
et francs-tireurs, on peut citer Nicole Krauss, Jonathan Safran Foer,
Denis Johson, Augusten Burroghs, James Purdy…

L'influence du philosophe Wittgenstein sur la linguistique

Comment les concepts et méthodes de, philosophe autrichien, sont
devenus, aujourd'hui des références centrales dans les sciences
humaines et sociales. Le penseur a inspiré, en linguistique, une
sémantique 'pragmatique', opposée à la tradition référentielle. Les
mots n'y sont plus perçus comme les représentants ou les images des
choses ne renvoient pas à une réalité extérieure. Leur signification
n'émane que de leur usage – leur insertion dans des pratiques
linguistiques partageant les mêmes 'formes de vie'.

Dans l'anthropologie et la sociologie,a l'influence du philosophe
nourrit une réticence aux théories globalisantes et structurales. Il
s'agit dès lors l'enjeu du 'comprendre' à celui de l''expliquer',
notamment en étant attentif aux micro-procédures du quotidien. Les
faits sociaux ne sont plus des 'choses' objectives, comme chez
Durkheim, mais une constellation d'interactions. Ce numéro de Magazine
Littéraire est une bonne introduction à la connaissance du roman de la
nouvelle Amérique.

Amady Aly DIENG

http://www.walf.sn/culture/suite.php?rub=5&id_art=53064




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